Repenser la ressource en eau dans le secteur du bâtiment
Face au stress hydrique croissant, l'économie circulaire de l'eau se présente comme une solution concrète pour les projets immobiliers et d'aménagement urbain, il s’agit là d’intégrer la question des usages de l’eau en amont de l’élaboration de tout projet de construction pour anticiper les restrictions et mieux appréhender les besoins. La valorisation des eaux non conventionnelles, notamment des eaux grises, constitue l’un des leviers pour assurer la résilience hydrique des territoires et réduire drastiquement l'empreinte eau des constructions.
À l’origine, le secteur du bâtiment intègre quasi exclusivement l'eau potable, y compris, et nombreux sommes-nous à le déplorer, pour des usages ne nécessitant pas une telle qualité (chasse d'eau, arrosage, nettoyage…). Cette approche linéaire et énergivore atteint ses limites face aux épisodes de sécheresse, désormais fréquents. Cela impose de trouver des sources d'eau alternatives pour sécuriser les usages et préserver la ressource pour les besoins essentiels.
Le concept de réutilisation des eaux usées décentralisée répond directement à cet enjeu. Il s'agit de traiter l'eau au plus près de sa production et de son besoin de réutilisation, en permettant une solution locale et résiliente, particulièrement adaptée à l'échelle d'un bâtiment ou d'un écoquartier.
Eaux grises : une réutilisation au potentiel inexploité
Les eaux grises représentent un gisement d'eau non conventionnelle majeur dans l'habitat. Issues des douches, baignoires et lavabos, elles sont moins chargées en contaminants et micro-organismes que les eaux vannes ou eaux noires (toilettes) et peuvent être traitées plus facilement. Leur recyclage au sein même des bâtiments permet de :
- Réduire la consommation d'eau potable : L'eau traitée peut alimenter les chasses d'eau (qui représentent une part significative de la consommation domestique) ou l'arrosage des espaces verts.
- Sécuriser les usages : En période de restriction, d’arrêté préfectoral par exemple, la ressource en eau recyclée localement assure la pérennité de fonctions, comme le maintien de la végétalisation.
- Améliorer le bilan environnemental : La réduction des prélèvements dans le milieu naturel et la diminution des rejets vers le réseau d'assainissement contribuent à l'amélioration de la qualité des masses d'eau.
Des projets pionniers, comme la résidence Primavera (groupe immobilier Roxim) en France, démontrent la faisabilité technique et réglementaire de la réutilisation des eaux grises à l'échelle du bâtiment, ouvrant la voie à une généralisation des standards de construction sobres en eau.
Le rôle structurant des écoquartiers
Les écoquartiers sont les laboratoires privilégiés de l'économie circulaire de l'eau. Leur conception globale et intégrée aux territoires, de plus en plus plébiscitée en France, permet de maximiser la valorisation de toutes les eaux non conventionnelles (eaux grises, eaux de pluie, eaux usées traitées).
La stratégie en aménagement urbain repose sur une approche des 3R : Réduction, Recyclage, puis Réutilisation. L'intégration de dispositifs de recyclage de l'eau dès la phase de conception permet :
- La lutte contre les îlots de chaleur : L'utilisation d'eaux recyclées pour la pérennisation d'espaces verts et de façades végétalisées (Projet Evanesens, Roxim) offre un rafraîchissement naturel essentiel en milieu urbain.
- La résilience face aux aléas climatiques : En complément de la gestion des sécheresses, l'intégration de systèmes de gestion des eaux pluviales et usées renforce la résilience face à l'intensification des épisodes pluvieux.
- La création de valeur : Les bâtiments et quartiers intégrant la réutilisation de l'eau améliorent leur performance environnementale, répondent aux futures exigences réglementaires et renforcent l'engagement environnemental des acteurs de l'urbanisme.
La réutilisation de l'eau pour les usages urbains, tels que le nettoyage des voiries ou l'hydrocurage des réseaux, complète cette stratégie à l'échelle du territoire.
Le défi réglementaire et technique
Malgré des bénéfices évidents, le déploiement de la réutilisation des eaux non conventionnelles en France se heurte encore à un cadre réglementaire complexe, bien que récemment aménagé (voir notre webinaire sur le sujet). Les acteurs doivent naviguer entre les décrets nationaux, les autorisations préfectorales et les normes établies par les Agences Régionales de Santé. L'accompagnement par des experts devient alors incontournable pour réaliser le diagnostic, évaluer la faisabilité et porter le projet auprès des services de l'État.
Sur le plan technique, le choix des solutions de traitement (membranes, filtres plantés, etc.) doit être adapté à la source (eaux grises, eaux de STEP) et à l'usage envisagé, garantissant une qualité d'eau irréprochable et surtout un fonctionnement durable.
Le futur de la construction et de l'urbanisme est directement lié à une gestion circulaire de l'eau. En réutilisant les eaux grises et autres sources non conventionnelles, le bâtiment et les écoquartiers se positionnent comme des acteurs majeurs de la transition hydrique.



